Notes de lectures
Poésie
1 (Michel Baglin) Europe Verso La Voix du Nord Cahiers
Froissart Décharge |
Jacqueline Saint-Jean
Le prix
max-Pol Fouchet est revenu en 1999 à Jacqueline Saint-Jean pour Chemins de bord et
lui a été remis fin octobre à Lourdes. Rappelons que ce prix, organisé par
lassociation LAtelier Imaginaire est attribué (ainsi que le prix Prométhée
pour la nouvelle) sur manuscrit. Lanonymat des candidats est préservé lors des
délibérations du jury, composé de poètes reconnus de toute la francophonie. Ce prix
consiste en lédition du recueil primé par les éditions du Castor Astral (du
Rocher pour la nouvelle). Jacqueline Saint-Jean, qui a déjà publié plusieurs recueils et participe aux comités de rédaction des revues Encres Vives et Rivaginaires, est dorigine bretonne mais vit à Tarbes, au pied des Pyrénées, mer et montagne nourrissant ainsi son imaginaire de leurs « chemins de bord ». Le bord sentend bien sûr comme rivage, côte, marge peut-être, limite mal définie entre deux univers, mais renvoie aussi au livre de bord dun voyage, dun « louvoyage » entre des paysages marins et les images plus ou moins fantasmagoriques quils suscitent, ou réveillent. Inscrits dans cette écriture cotière en proie à lérosion, on en suit
la ligne brisée. Le recueil met ainsi en place un jeu de résonnances à la frontière (en bordure) du présent et du passé, du réel et de limaginaire. Là où « la distance tend ses miroitements ». Où, peut-être, « on cherche son visage ancien ». Avec deux versants : le légendaire du « temps conté » et le paysage intérieur que la mémoire travaille. On explore « le grimoire des marées », avec des métaphores qui cherchent « à rebours », en « tâtonnant à lenvers » des paysages et des mots. De ceux « où dorment les vieux séismes ». A la lisière, toujours, car Tout retourne à ce personnage gris qui arpente lestran, toujours entre deux rives. La deuxième partie du recueil (en fait antérieure), isages mouvants, procède de la même démarche, de la même écoute accordée à la « rumeur phréatique », à tout ce qui sourd de la part obscure de soi-même, de la mémoire, résurgences, débris de rêves. Mais ce « battement de présences, silhouettes, visages, proches ou entrevus, souvent féminins » est comme domestiqué par une forme rigoureuse, celle des neuvains, et tendu par linterpellation à la deuxième personne : Je dis tu à ce qui se tait On y côtoie donc des êtres fantômatiques, une forme dabsence, ou de présence qui se dérobe. Quelquun se tenait dans le noir De fait, le recueil illustre parfaitement la phrase dOctavio Paz placée en exergue : la poésie y est résurrection des présences, histoire transfigurée en vérité de temps sans date.
Michel Baglin, Poésie 1, Mars 2000 (Le Cherche-Midi Editeur)
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Jacqueline Saint-Jean : Chemins de bord (Le Castor Astral). Grâce à « lAtelier imaginaire », une découverte, corroborée par le prix Max-Pol Fouchet. Le poète de souvient de Saint-John Perse dans un chant grave, généreux, exempte de mièvreries, qui sinscrit avec une justesse constante dans le rythme et le mouvement intérieur. On écoutera cette voix prenante, « ancrant sa singularité nous dit le préfacier Vahé godel dans la présence immémoriale des Côtes dArmor, où elle est née ».
Charles Dobzynski, Europe, Mars 2000
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Jacqueline Saint-Jean : Chemins de bord LAtelier imaginaire / Le Castor Astral (Prix de poésie Max-Pol Fouchet) Livre sur la quête de limperceptible, de la rupture, de lusure, de lépaisseur du temps qui prend laspect des couches géologiques, du vertige, des miroirs et des épaves. Les images sont fortes et roulent avec les mots comme des barques : « Pour toute écriture, un alphabet de barques » Images délimitées comme des jeux denfants à la craie : « Dans un cercle de craie, un enfant bras ouverts tourne en toupie ardente ». La vie dans ses spasmes ultimes : « Parfois on frémit dun seul effleurement détoffe. / Les lèvres souvrent, cest lafflux. / Comme au bord dun corps de merveille. // Comme au bord de la déchirure ». Ce livre est un corps à corps subtil avec léphémère, avec l « autre » qui se dérobe : « Tout sera versé au silence // et la nuit couvrira nos mains / lentes immenses délivrant / leau des écluses entre les corps. »
Alain Wexler, Verso, n°100
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Le prix de poésie Max-Pol Fouchet a été attribué, cette année, à Jacqueline Saint-Jean pour Chemins de bord. Entre désert et océan, falaises et lignes de fuite, lécriture se tient aux frontières du lucide et du substrat intérieur. Le fil est tendu entre ombre et lumière, appel du haut, désir du bas. Cela donne un livre qui ne se donne pas à la première lecture. En postface, Jacqueline Saint-Jean confie : « Que dans paupière on entende peau et pierre, pore ou hier, ne laisse aucun poète indifférent, quoi quil en dise ». Cest de cette manière quil faut lire Chemins de bord En se laissant porter par ces mots remontés de la terre.
Hervé Leroy, La Voix du Nord, 19/12/1999
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Nous sommes très heureux, à Froissart, de voir consacrée par ce beau et grand prix, pour la huitième fois, après Eric Brogniet, Dominique Sampiero, le regretté Jean-Loup Fontaine, Colette Nys-Mazure et jen oublie ( ! ), une lauréate de notre concours dédition, et ce dautant plus que ce nouveau recueil ne renie en rien le Voyage en monodie cher à notre comité de lecture. Prenons lauteur aux mots pour esquisser une épure de Chemins de bord qui se nourrit de latmosphère saline de la Bretagne : « un jeu darcades lointaines ouvre le livre de la mer » : « La mer divague, intarrissable ». ( ) « On remue à peine dans luf de brume. » ( ) « On se parle déjà de très loin. » ( ) « Corps poreux pénétrés par le sel et lhumus, on se fond dans ce paysage où dorment les vieux séismes ». Lanonymat du pronom indéfini achève de nous fondre avec lauteur dans ce décor qui mêle dans de belles noces les images et les mots, le « tableau » et la « fable » : « On va et vient, creusé de vent, le visage gagné par lérosion des rives ». A tel point quon ne se soucie plus de démêler si locéan a visage humain ou si nous prenons vie dune respiration marine, inscrits dans une légende deau : « Pour toute écriture, un alphabet de barques ». Nous devenons avec Jacqueline Saint-Jean « arpenteurs de songes », des « chemins de lintérieur », au cours de ces « migrations intimes » qui me préoccupent tant (cf. Froissart N°90, rubrique Lueur(s) dessence(s). Le rythme est à limage de ce paysage de brumes et décume, qui privilégie flux et reflux, propices à entretenir cette oscillation entre le corps et lâme, le rêve et le réel, lindécis et le précis. Visages mouvants, écrit deux ans plus tôt, sil annonce la marée montante du « on », se démarque surtout par lemploi dune énonciation à la deuxième personne du singulier, ce qui fut dailleurs son titre initial et lempreinte marquante du désir, des désirs, exprimés ou contenus, comme « leau des écluses entre les corps ». Le recueil se fait plus vagabond encore, « nomade », mêlant à leau le feu solaire et ces océans de sable où les vents sont conviés au voyage. Mais la fragilité et lincertitude de lêtre sy affirment comme dans le recueil-titre, tant il est vrai que « le sang parfois se désunit » et que se fait douloureux le « tirant dombre des mémoires ». Laissez-vous embarquer par ces textes qui feignent de dormir « au plus secret du clair-obscur », vous serez submergés, comme son auteur au moment de lécriture, par une « invasion dimaginaire », « bruine où séchangent les formes »
Philippe Deleury , Cahiers Froissart N°92, printemps 2000
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Le prix Max-Pol Fouchet 1999 est zébré dembruns, fouetté par les vagues de lAtlantique, bâti dans le granit. Mais au-delà de cet aspect couleur locale, la poésie de Jacqueline Saint-Jean séduit par limmanence, lobjectivation systématique des sentiments et des sensations. Les personnages sont indéfinis, « on », « des figurants », « des passants » ou abstraits « il faut quitter », « celui qui ». Cest que lessentiel nest plus en eux, nest plus eux mais le monde qui les entoure : « Nous nous échappons lentement de nous-mêmes ». Partout dans le recueil la vie sépanche, sécoule : dans la pierre, dans les paysages, dans les mots. Le corps est en fragments comme ces débris rejetés par la marée : main de pierre, bras abandonnés, cils, genou « Les remous défont les visages ». Chacun séloigne, « frère friable », se fond dans le paysage. « Le territoire se démembre. / On se parle déjà de très loin. » Ce qui frappe à la lecture, cest cette impression de dilution, comme limage floue dun sujet en mouvement. Car cest bien de cheminements quil est question, et derrances au gré des vents de la vie. Lhomme est inssaisissable en lui-même, seules ses épaves témoignent de son passage. Parmi elles, les mots, la poésie « alphabet de barques », tentant de « relier la source à lestuaire ». Lhomme est à chercher dans le monde quil crée, transforme, laisse à dautres, à limage exacte de la poésie où sest disséminée pour nous une certaine Jacqueline Saint-Jean.
Aka, Décharge N°106, Ed. Le Dé Bleu, Juin 2000
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© Isabelle Saint-Jean, 1999-2003
(conception, fond)
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