Un jour comme étant d'autres

 

    Je lui fis part de ma décision de me mettre à la pêche.

    de me munir d'un permis pour prévenir toute infraction à la loi.

    j'en suis coutumier, à tout le moins intérieurement.

    On aurait cru que je me mettais à dos le monde du travail. J'argumentais les bienfaits et les délices de la paresse, de l'errance, tantôt inquiète tantôt pas, sur les rives de cours d'eau sympathiques ou espliègles.

    Elle répondait honneur, fierté, qu'en dira-t-on, judas de voisinage, enfin toute l'artillerie de ses culpabilités et de ses paranoïas innombrables.

    Je voyais la chose avec ses parements de mystère et de chaleur, de micassures et d'échappatoire, elle décrèta le noir de la situation, calqua mon avenir sur mon passé et de s'emporter après la nullité de l'un et de l'autre, comme quoi on ne tirerait jamais rien de bon de moi ni de certain, c'est-à-dire qui mériterait qu'on en parle, comme d'un avancement dans la vie.

    Elle fit sa Cassandre habituelle.

    L'arrogance et l'aplomb avec lesquels elle descend mon projet corps et âme et mon goût revenu enfin pour quelqu chose n'avaient rien que de coutumiers.

    je ne pus, une fois encore, que la trouver bizarre énorme d'énormités, déplacée en corps, en corpulence, en poids, en posture, enfin mauvaise et inexcusable de l'être tant.

    Elle ne se fatigue pas de faire sa hache, moi si. je la quittais. et la laissais faire.

    cela un jour se retournerait contre elle.

    et ferait enfin ma joie :

    elle morte, j'irai jeune.

    mais j'irais pêcher même de son vivant.

 

    J'ouvre le dépliant de l'office du tourisme. Il se présente comme une carte. Je le manipule recto de la droite vers la gauche puis de la gauche vers la droite.

    Je multiplie les angles d'attaque : tarifs, catégories de cours d'eau, règles à respecter, appâts autorisés et prohibés, leurres déclinés selon leut fréquence d'emploi et leur affectation à tel ou tel type de prise.

    c'est ainsi qu'on appelle le poisson en jargon de mordu de pêche.

    une truite, pour citer un carnassier, c'est une prise.

    enfin périodes et qualités des mouches pour les plus esthètes d'entre nous.

    on pêche effectivement à la mouche en esthète, on pense à l'éventail et à la ventilation des poils animaux qui créent le leurre et l'ornent en visant le lieu où la lumière devra tomber et les manières qu'elle aura de tomber :

    selon la qualité atmosphérique de l'air et le quotient relevé en humidité, elle viendra affleurer sur l'absomen de l'eau soit angoissée soit dégagée.

    J'aime pour ma part à contempler la gorge qu'elle sait déployer certains jours comme si elle déposait une joaillerie sur les eaux le reste du temps puritaines du lac.

    Je me délacte également de l'apercevoir plus difficilement, l'ayant cherchée, dire qu'elle ne veut surtout pas déranger, et mettant un doigt sur sa bouche.

    Alors on la voit, incisive à des endroits précis et concertés, tâcher profondément à Dieu sait quelle annonciation.

    et rentrer les épaules comme on le voit au saint, pour ne rien ébruiter qui ne remonte sur sponte en ligne directe jusqu'au fermoir du ciel - terminus mystique.

 

    Tout à la fois un art, une entreprise, un sport.

    entreprise avant de s'y rendre, sport quand on y st.

    un art quand on y pense et quand la pratique en pensée, avec unnégligé pareil à celui du corps qui pratique.

    l'activité est émouvante et joyeuse et déceptive comme aucune autre.

    Si; l'amour.

 

    Dans l'un comme dans l'autre cas on ne s'y compare pas longtemps à un devin.

    avec ce qui est improbable délicatement, ouvertement, généreusement même, paradoxe faux, on a tout à fait tort d'être certain.

    la sagesse consiste bientôt à mettre en doute sa stature. à se proposer la question de savoir pourquoi l'ombre qu'on porte trop grande sur le monde nous dessert seulement, et notre recul nécessaire.

    Alors courber l'échine, se plier, humilier les présomptions et son dos.

    et passer par la lumière avec la permission de la lumière le grain meilleur de notre incompétence, de notre doute, tous nos doutes, et reconnaître que là on fut lavé. là écouté. là inité et reçu.

    la psychanalyse o tort de vouloir nous réparer notre silence.

    et nous ne sommes séparés que parce que nous sommes indignes, nécessaires et cardiaques.

    Mortels à proportion de notre intimité.

    parce qu'abandonnés, susceptibles de toutes les connivences.

    attachés à l'air. comme à nos mains.

    compliqués de ce qui simplement respire autour de nous, s'accouple, se bat, s'ammoncelle, s'exige.

 

    Je replis le dépliant de l'office du tourisme et l'empoche.

    je sors.

    je vais à al rivière.

    je me chausse en conséquence.

 

    Je traverse par l'herbe étrange. Ici basse, ici haute, ici esquisse qui tiendra ou pas sa promesse.

    qui recevra ou pas un nom de la lumière.

    Je m'avance contre la naissance de l'eau, je suis à genoux.

    j'analyse. je ne sais rien d'elle. je sais - je ne sais plus.

    je l'admire.

    je ne sais pas si je saurai jamais sur elle. autant qu'elle sait sur moi.

    sur ma dureté.

    sur ma perméabilité aussi.

    demain j'irai pêcher de mon vivant.

 

 

 

Guy Viarre, Rivaginaires, n°24, 1999

 

 

 

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© Isabelle Saint-Jean, Septembre 2000 - Décembre 2001
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